La Clarette

Récit de Guy Rauzet
dimanche 20 juin 2010
par  Jean-Paul Liégeois
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Une figure de Bouzic

A Bouzic habitait une fermière que l’on appelait la Clarette. Ce surnom provenait de son vrai nom, Eugénie Claret. Elle avait deux filles célibataires, Zélie et Zélia. Son mari s’appelait Jules, en patois Zulou.

Zélia dérive de Zélie dont elle est une forme latinisée. Zélie est une forme abrégée de Solène, qui s’était d’abord écrite Zéline.

Tous les quatre exploitent une petite propriété dont l’unique revenu provenait de l’élevage de quatre vaches qui donnaient à longueur d’années plusieurs litres de lait par jour. Tout le bourg allait chercher chaque jour sa bouteille de ce précieux liquide, si bon et si crémeux.

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La ferme de la Clarette, devenue depuis la Maison Michel, en bordure de Bouzic

Les troupeaux de la Clarette

Quand on rentrait dans la cuisine de la Clarette, une forte odeur de lait caillé s’en dégageait. En effet, une simple porte de bois toute vermoulue séparait cette immense pièce des étables où se trouvaient les vaches. Ces dernières beuglaient à longueur de journées car elles n’avaient pas beaucoup de foin à manger. La Clarette ne les sortait qu’à la nuit tombée. A ce moment, elles étaient libres et elles pouvaient errer dans toutes les prairies. Les voisins avaient beau la réprimander, elle recommençait le lendemain. Son troupeau de moutons ne s’en privait pas non plus alors que tous les paysans de l’époque respectaient les limites de leurs propriétés.

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La Clarette n’avait peur de personne. Un soir qu’elle gardait ses moutons dans les prés d’un de ses voisins, actuellement au lieu dit "Les prés de la Fontaine", le propriétaire, Louis, veut la faire déguerpir avec ses bêtes. Ils se rencontrent sur le petit pont qui traverse le petit cours d’eau. La dispute allait bon train. A un moment, elle devient plus physique et la Clarette bouscula Louis qui tomba dans l’eau. Heureusement le choc fut amorti et il n’était pas tombé de bien haut mais quand même. C’était vraiment une mauvaise femme et tout lui était permis.

Son mari Zulou

Fondamentalement, la Clarette était méchante. Son mari était un petit homme sans défense et était son souffre-douleur. Il ne parlait pas et lui obéissait comme un enfant. Toujours vêtu d’un ensemble de velours marron usé et râpé, il la suivait comme un chien pour aller travailler dans les champs. Elle ne l’épargnait guère au travail et le houspillait sans cesse. On avait vite compris qui était le dominant et le dominé. Au début de leur union, il exerçait le métier de tueur de cochons. Par la suite, il a arrêté pour se consacrer aux travaux de leur propriété. Pauvre Zulou, il était constamment agressé. Un jour de pluie, c’était un dimanche, elle l’avait privé de manger à l’heure du repas de midi. La raison, je ne la connais pas mais c’était certainement une punition. Il pleuvait donc et elle l’avait attaché au poteau téléphonique qui était installé devant chez eux à l’aide d’une grosse corde qui servait aux attelages. Jamais il n’avait un geste de défense. Lorsqu’un voisin, le facteur du village, voulu aller le délivrer, elle se précipita avec une fourche dans les mains et lui interdit de s’approcher. Le manège dura longtemps et il fallut téléphoner aux gendarmes de Daglan. Ils arrivèrent aussitôt et elle les reçu de la même manière. Mais force fût à la Loi, elle dût abandonner.

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Une autre fois, ils labouraient leur champ situé au devant du cimetière. Elle guidait la charrue et lui conduisait l’attelage. A un moment, elle lui reprocha que la raie du labour n’était pas droite, par sa faute. Elle l’attrapa, le coucha dans le sillon creusé et le menaça de l’enterrer tout vivant. Le pauvre bougre cria et les voisins vinrent le sortir de sa mauvaise posture. Je ne pense pas qu’elle l’aurait fait, c’était une manière d’intimidation. De temps en temps aussi, il recevait quelques coups de bâton mais il ne se retournait jamais. Une fois, je devais avoir 7 ou 8 ans, je vais chercher le lait. Je rentre. Elle préparait la soupe. Zulou lui dit gentiment qu’il a faim. Cela n’a pas plu à sa femme. Je la vois encore. En colère, elle va près du feu. Il y avait là-bas, dans un coin de l’âtre, un petit meuble en bois appelé la salière. Il avait une forme de caisse et on y entreposait le sel. Étant près du feu, il était toujours bien sec. La Clarette arrive donc près de la salière, lève le couvercle, prend une poignée de sel et s’approche du pauvre Zulou. Elle lui ouvre la bouche et lui remplit celle-ci avec le sel contenu dans sa main en lui disant d’un ton des plus méchant : "Ah tu as faim ! Alors mange !" Dis en patois, on ne réagit pas de la même manière, on en rit, mais on s’imagine mieux la scène.

Sa fille Zélia

Zélia, qui était un peu plus émancipée que sa sœur, fit la connaissance un jour à la fête de Bouzic d’un garçon qui habitait Gourdon. La fête terminée, sa mère Eugénie, la Clarette, fut inquiète car sa fille ne rentra pas à la maison. Elle s’était enfuie de chez elle pour suivre son nouveau prétendant. Quelques jours passèrent et notre Zélia revint pour annoncer à sa mère qu’elle allait se marier et qu’elle ne reviendrait jamais plus à Bouzic. Devant la porte attendait le futur époux avec un attelage de fortune, un petit charreton attelé à un âne. La dispute fut sévère entre la mère et la fille. Tout le bourg résonnait de jurons d’autant plus que la mère s’entendait de très loin car elle avait une voix très aigre. Inutile de vous dire que nous, les enfants, étions aux premières loges. Zélia venait en fait réclamer ses affaires personnelles et voulait rentrer dans la maison mais la mère lui barrait le chemin. Cette dernière finit par monter au premier étage où était la chambre de sa fille. Elle ouvrit la fenêtre et commença le grand déballage. Elle jeta tout ce qui appartenait à sa fille par la fenêtre. Un petit lit en fer forgé, suivi de la paillasse, la couette, les draps, le traversin, l’édredon, se retrouvèrent sur le sol devant la maison. Divers objets suivirent le même chemin. Tout s’éparpillait sur la route et le fiancé, sans dire un mot, rangeait ce bric-à-brac dans le charreton. C’était du vrai théâtre digne des Rougon-Macquart. De tout ceci, j’ai en mémoire et la vision d’une paire de sabots en bois jetés par la fenêtre. Ils se brisèrent en tombant sur la route. Zélia les ramassa et vlan retour à l’envoyeur ! L’un deux atterrît sur une vitre de la fenêtre qui, en se brisant, blessât, sans gravité, notre Clarette. L’attelage redémarra, direction Gourdon. Les injures pleuvaient de chaque côté. A partir de ce jour, on ne revît plus Zélia à Bouzic.

Le terrain de ma grand-mère

Ma grand-mère possédait un petit coin de terre à quelque 300 mètres du village, ai lieu dit "Fond de la côte". La Clarette, qui n’avait, on le sait, aucun respect pour le bien d’autrui, se permettait de traverser avec son attelage ce petit terrain. Cela lui évitait ainsi d’aller faire un grand détour pour accéder à une des ses terres à proximité de celles de ma grand-mère.

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La grand-mère de Guy Rauzet, Marie Grangier, née en 1864 [photo GR]


C’étaient des disputes continuelles à ce sujet : il fallut aller au tribunal pour plaider la cause. Bien sûr la justice interdit le passage des attelages mais ce fut une procédure pénible. Pour me venger (j’avais donc 7 ou 8 ans), je pénétrais tous les jours voler les œufs des poules de la Clarette dans son poulailler. Ma grand-mère était au courant de ces méfaits mais ne se fâchait pas.

Une action audacieuse

Tous les jours dans la soirée, la Clarette avait l’habitude d’ouvrir la bergerie et son troupeau de moutons descendait la route pour aller paître dans les prés de la Fontaine (appartenant donc à Louis !). Je me précipitai pour les précéder et, arrivé sur le petit pont enjambant la Fontaine, je leur barrai la route en faisant des moulinets avec un bâton. Les moutons enjambèrent le parapet du pont et

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tombèrent dans l’eau avant de regagner la berge quelques mètres plus loin. Je rentrai vite chez moi la peur au ventre car j’avais entendu qu’un mouton qui tombait à l’eau se noyait car la laine enveloppant son corps, une fois imbibée d’eau, empêchait toute nage à la bête. Dans ce cas-ci en tout cas, les moutons de la Clarette s’en sortirent indemnes. Une autre fois, alors qu’elle était absente de sa maison, j’ouvris la bergerie. Les moutons et le cheval en sortirent et, abandonnés à eux –mêmes, s’éparpillèrent dans tous les sens.

Épilogue

C’était bien la seule personne que j’aie détesté à ce point dans le bourg et je ne pensais qu’à lui faire des misères. Je pense que lorsqu’on est enfant, on veut défendre avant tout sa famille et son entourage. La Clarette était de plus pour tout le monde aux alentours une véritable peste. Heureusement, ses vieux jours furent moins mouvementés. Elle devint plus sage et petit à petit les brouilles avec son voisinage se terminèrent dans la sérénité. Le temps efface tout…