Il était une fois... chap.1 : Une enfance pas comme les autres
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Il était une fois… la "vérité"
vue par les yeux d’une enfant avant-guerre.
Chapitre 1.
Dans un tout petit village périgourdin, d’humbles paysans, naquit une toute petite fille. C’était moi. Noiraude, chevelue, le 25 avril 1927 alors que le soir tombait, j’entrais dans ce monde. Mes parents attendaient un garçon, un héritier, mais le ciel leur avait envoyé une fille. C’était le jour de la Saint Marc. La recherche du prénom ne fut pas longue, je devins pour la vie Marcelle, la Marcèlate pour les intimes.
Selon les on-dit, je fus un bébé si sage et si tranquille que l’on me pardonna d’être une fille. En grandissant, je devins fragile, faiblarde, sensible, effrayée pour un rien,
avec une sensation d’enfant hors du commun, d’enfant mal-aimée. Pourtant, j’étais bien. Ma famille était ce que j’avais de plus cher. Je crois bien que, heureux ou malheureux, c’est toujours les siens que l’on préfère. Les enfants cachent souvent leur misère derrière un sourire. J’ai su bien plus tard que ma mère avait perdu deux petits garçons à la naissance. Autrefois, cela restait caché. Mais j’étais une fille, une bien petite, le ciel avait choisi à leur place et je ne savais pas.
Heureusement, j’ai triomphé, trouvant le réconfort là où on ne le soupçonnait pas, apprenant à aimer, à me rebeller, à rire, à rire aux éclats, à façonner ma vie en observant. Je ne raconterai jamais assez et pourtant c’est mon plus cher désir. Je voudrais que l’on partage avec moi l’histoire de cette enfance pas comme les autres. Je dois en parler sans haine et sans passion, souvenirs en désordre se bousculant dans mon esprit, souvenirs que nous allons partager.
Notre maison ne possédait aucune commodité, le mot confort ne devait exister que dans les dictionnaires. Je dormais dans un petit lit en fer blanc, sur une paillasse de maïs, que ma mère agitait vigoureusement chaque matin. Maladive, je vécus dans ce lit beaucoup d’heures, de nuits, de jours, des rêves et des cauchemars.
- Un pot de chambre avec un oeil dans le fond
Je faisais pipi dans un joli plat en porcelaine que mon père avait gagné au tourniquet lors de la fête au village. Il y avait un œil dans le fond qui me fascinait et me terrorisait. Nous le rangions dans la table de nuit. Les soirs d’hiver, ma mère bassinait tous les lits. Elle se munissait pour cela d’un appareil en cuivre à long manche emplis de braises, que l’on appelait le "chauffe-lit" à l’époque,
- Une bassinoire en cuivre
bassinoire aujourd’hui. En plus, mon père mettait de gros galets de la Dordogne à chauffer devant le cantou. On les appelait les cailloux. Il les introduisait dans de vieilles chaussettes et nous les répartissait afin de chauffer nos pieds pour la nuit. Cela me laisse un souvenir délicieux plein de douceur. Imaginez l’agréable sensation de se plonger dans un lit bien bassiné, les pieds tout chauds ! L’édredon relevé, nous ne bougions pas. Un vrai nid. Il faut dire que les hivers étaient très rigoureux. Rusée, je mettais mes vêtements sous l’édredon pendant la nuit afin que, le matin, je profite de cette douce tiédeur. Contemplant les vitres glacées, je commençais à m’habiller dans mon lit, le gilet de laine, la combinaison de laine, le tricot de dessus. Je pouvais alors affronter le sol et le froid de la chambre.
Nous n’avions pas l’électricité. Nous nous éclairions avec des lampes à pétrole et des lampes à carbure qui sentaient bien mauvais. Elles s’emballaient par moment en crachant. Pour aller se coucher, ma mère prenait une "lampette" (lampe-pigeon). Je me faisais toute petite, cramponnée à son tablier, car de grosses ombres se profilaient sur les murs, terrifiantes et lugubres.
Mon pépé et ma mémé ne chauffaient pas leur lit de la même façon, ils utilisaient un appareil burlesque que l’on appelait le "moine". Une casserole de braises se suspendait au milieu. Je me demande par quel hasard la maison ne brûlait pas.
Un moine est une structure en bois cintré d’environ 1,50 m de long, 30 cm de large et 30 cm de hauteur. Une plaque métallique carrée à la base et sur le dessus permettait d’y mettre un récipient contenant des braises de la cheminée. L’ensemble était placé dans le lit afin de le réchauffer avant de s’y coucher. Plus tard certains furent équipés d’ampoules électriques chauffantes. Les progrès en matière de chauffage et les accidents qui ont eu lieu ont rendu cet objet obsolète. Il était pourtant encore en usage vers 1970 dans certaines fermes très isolées. Voir http://www.chaufferettes.com/
- Un moine, chaufferette aux braises pour lit !
Muni d’en bougeoir, je les voyais quitter la cuisine à pas mesurés, amoureusement serrés l’un contre l’autre. Il faut dire que les familles étaient très unies. Pas question de vivre ni de vieillir les uns sans les autres. Le malheur, le bonheur, les joies, les peines étaient partagées et on s’aimait très fort. Où est passée aujourd’hui l’unité de la famille ?
Mon père Charles, c’était le meilleur. Il ne voulait pas que je pleure. Si l’on me fâchait, il me consolait discrètement, me murmurant doucement "Pleure pas, je te donnerai cinq sous". Cinq sous ! Je me calmais tout de suite, pensant à la poignée de bonbons que l’épicière allait me donner. Si j’étais punie plus sévèrement, il partait au lit sans souper. Le pauvre pépé, quel saint homme !
- Des sous de 1930
- Mange ta soupe, tu seras plus grande !
En Périgord, la soupe au pain et le chabrol, c’est un rituel. Je détestais cette soupe, pourtant, on me répétait que cela faisait grandir. Dieu que c’était dur à avaler ! Et plus on me forçait, plus j’étais écœurée. Je refusais de manger, alors j’avais droit à la chambre noire, jusqu’à ce que, défaillante, un déluge de larmes dégoulinant, je consente à avaler cette maudite soupe et encore, avec du vin dedans ! Pouah ! Mais ça passait. Il ne faut pas rire, cela me vexait de capituler. Ainsi, un soir, je mordis dans un joli verre bleu ; si fait que le morceau resta dans ma bouche avec un mélange de sang et de salive. La terreur de mes parents horrifiés et culpabilisés ! Moi, j’étais très fière de mon exploit. Je leur avais fait peur ! Peur pour de vrai ! J’étais quelqu’un.
- La grande soeur de Marcelle, vue par Marcelle
Bien sûr, j’avais oublié de vous le dire, j’avais une sœur, une grande sœur, une belle, une frisée qui n’était jamais malade, qui mangeait de tout, qui faisait tout bien. Réellement, je crois bien qu’une fée avait déposé une auréole sur son jeune front. D’ailleurs même à l’école, elle savait tout. C’est injuste et ça rend méchant. Je ne l’admirais pas, je ne la jalousais pas mais je ne jouais pas avec elle, c’eût été trop me demander. Cependant je l’aimais et je l’aurais défendue à l’occasion. C’était ma sœur !
Je ne comprenais pas la sensation d’injustice, d’ironie du sort et le pourquoi. Être vivante, là sans être là, chétive, maigre, je pensais souvent, sans trop savoir comment cela se passait, à mourir et à entrer dans le ciel. Je ne croyais pas que j’atteindrais l’âge adulte. Lorsqu’aujourd’hui, je vois des logements entiers envahis par les jouets, je me revois, pourtant bien sage, avec une poupée en chiffon et c’était tout. La tailleuse, Isabelle, me donnait des recoupes de tissus et je dois dire que ce fut mon meilleur passe-temps, coupant, cousant, créant et rêvant de réaliser des merveilles.
Tous ces souvenirs surgissent à la pelle. Je pense à cette petite fille qui aurait tant aimé être câlinée par ses parents. Comme j’en aurais été heureuse mais la vie était trop dure pour s’arrêter à des caresses. Il faut le dire, j’étais presque contente d’avoir de la fièvre. Je pouvais lire l’angoisse sur leur visage. Je me sentais enfin aimée. Unis, ils luttaient pour moi et mon père n’allait pas travailler. Pensez ! Il fallait aller quérir le docteur à Sarlat à bicyclette ! De surcroît, il n’y avait aucun argent pour le payer. Il n’a jamais rien demandé d’ailleurs. Mon père lui offrait son premier lièvre et souvent de beaux paniers de pêches de notre vigne.
La sécurité sociale, nous ne pensions pas que cela existerait. Ma mère était obligée d’aller aux champs ; la charge de veiller sur moi revenait à la mémé Léontine. Bonne mémé qui venait de la mer, de la Rochelle et qui, inlassablement, me racontait sa grande famille de dix-huit frères et sœurs ! Je trouvais cela incroyable. Elle disposait sur mon lit des tas de photos jaunies de beaux visages que j’identifiais. Je posais plein de questions sur cette famille –ma famille. Et puis j’avais des livres. Ma tata Marthe, qui avait été institutrice, nous avait légué de vieux spécimens scolaires très disparates. Il y avait même ce qui avait dû être un alphabet et, toute seule, j’ai appris les lettres, à les ajouter pour en faire des mots. J’ânonnais mais je savais lire, occupant ainsi de longues heures de solitude. Un jour que j’avais déchiffré une courte poésie sur le sphinx, la nuit, je fis un cauchemar terrible. Je me mis à hurler car je voyais le sphinx descendre les marches, me narguant et avançant sur moi. Je le vois encore et pourtant je ne l’ai jamais vu en vrai. C’était comme dans une autre vie, avec l’impression d’avoir été dans ce pays. Je rêve de m’y rendre et de me retrouver au sein même de ce cauchemar.
- Le sphinx de Gizeh
- Menuiserie, scie à ruban
Dès ma convalescence, mon pépé prenait le relais. Il était menuisier et il me conduisait à son atelier. Dans un poêle rustique, il faisait flamber des "ripes" et des copeaux, fermait de son mieux toutes les portes et les fenêtres et alors ce petit bout de femme commandait les opérations. Je voulais raboter, clouer et surtout me servir de son établi. Il me donnait des planchettes que je coinçais dans l’étau. Bien sûr, il guidait mes gestes maladroits et son travail n’avançait guère ! C’était un pépé fondant de tendresse, un pépé en or. Il avait fait route avec les compagnons du devoir et fait son Tour de France pour faire partie des meilleurs ouvriers. Il me racontait cette longue épopée et me chantait de vieux airs assez gaulois. On s’amusait bien, on riait complice et on était heureux.
Fin du Chapitre 1