Gaz de schistes : le cas du Périgord-Quercy jurassique
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- Mouvement des continents depuis 250 millions d’années (Permien)
Le gaz de schistes est un gaz toujours localisé dans sa roche-mère (voir le gaz de schistes : sa genèse). Ce schiste est une roche argileuse riche en matière organique qui s’est transformée en gaz sous l’effet de l’enfouissement.
Dans le cas du Périgord-Quercy, plusieurs questions peuvent être posées quant à ces schistes à gaz : où se trouvent-ils ? Comment sont-ils arrivés là ? Leur exploitation peut-elle être envisagée en toute sécurité ?
Voir Le gaz de schistes : son exploitation et Le gaz de schistes : intérêts et problèmes.
Cet article va tenter de répondre à ces questions en développant, d’une manière la plus simple possible, (1) l’histoire géologique de la région ayant mené à la formation des causses et de ces schistes à gaz et (2) la structure géologique actuelle avec en particulier la nature des relations existant entre schistes à gaz et aquifères.
Le début de l’histoire : des montagnes et un fossé d’effondrement
La géologie de la France peut être décrite de manière simple par :
une préhistoire dont on sait peu de choses, ce qui s’est passé au Précambrien (> 600 millions d’années ou 600 Ma) et dont les témoins sont essentiellement localisés en Bretagne ;
une histoire ancienne marquée par la formation de deux grandes chaînes de montagnes (= orogenèses), les orogenèses calédonienne, vers 430-400 Ma et varisque (également appelée hercynienne), vers 340-300 Ma.
- Le Varisque, ou Hercynien, fut une chaîne de montagne d’extension mondiale
- Carte géologique de la France (BRGM)
- Remarque : anciennement à la place de Paléozoïque, Mésozoïque et Cénozoïque, on utilisait Primaire, Secondaire et Tertiaire. Seul le Quaternaire (de 2,5 Ma à maintenant), période de l’être humain, est encore utilisé.
- Carte géologique du Périgord, du Haut-Quercy et de leur bordure varisque orientale
L’orogenèse varisque a modelé quasiment tout le sous-sol de la France. Les roches
qui se sont formées à ce moment comprennent beaucoup de roches métamorphiques (gneiss) formées à températures et pressions élevées dont certaines ont même fondu (gneiss migmatitique) ainsi que des roches magmatiques en particulier des granites (granitoïdes au sens large). Cette chaîne de montagne s’est formée dans notre région lors de la collision entre deux anciens continents, Gondwana et Avalonia. Ces roches, représentées dans les tons rouge, orange et brun sur la carte géologique de France ci-dessus, se trouvent à la surface en Bretagne, dans le Massif central, les Vosges, la Corse, les Pyrénées et dans quelques massifs alpins. C’est aussi l’époque du développement des batraciens, apparu à la fin du Dévonien.
- Échelle des temps géologiques pour la période de temps qui nous occupe
Pour voir l’échelle stratigraphique en entier (données 2010), cliquez sur l’icône ci-dessous.
- Gneiss migmatitique (le Laguiole donne l’échelle)
- Granite
L’orogenèse varisque correspond à une collision intercontinentale. Elle s’est déroulée à l’échelle mondiale et qui a formé un seul supercontinent, que l’on appelle la Pangée. Après les derniers soubresauts varisques (300-290 Ma), ce supercontinent a été arasé par l’érosion et seuls quelques reliefs volcaniques l’émaillaient encore. C’est la période du Permien (299-251 Ma). Cette configuration de grand continent unique a favorisé un climat continental très chaud qui, en conjonction avec la pauvreté en plantes, a oxydé beaucoup de roches : le Permien, et le Trias qui suit (251-199 Ma), sont caractérisés par des roches rouges (couleur due aux oxydes de fer) comme les grès de Collonges-la-Rouge, en Corrèze.
- Couleur rouge typique du Permo-Trias
- Collonges la Rouge, une magnifique petite ville médiévale construite en grès rouge permien
- Un Edaphosaurus pogonias du Permien, reptile intermédiaire entre les dinosaures et les mammifères.
Le Permien, c’est aussi l’arrivée des premiers reptiles sur Terre, les thérapsides. Ils étaient en majorité de petite taille mais avec également de grands animaux. Ces thérapsides étaient étonnamment développés, plus développés que les dinosaures en fait et proches par certains points des mammifères (leur ancien nom était "reptiles mammaliens"), comme la thermorégulation chez certains groupes. Les thérapsides sont probablement les ancêtres des mammifères.
Le Permien correspond en fait à une période de fracturation pour le supercontinent de la Pangée qui, par la suite, va se séparer en plusieurs continents comme le montre la petite animation ci-dessous ainsi que le petit globe en début d’article.
- Le supercontinent de la Pangée avec localisation de la future France
Ces fracturations, dues à une période d’extension continentale, ont engendré une série de fossés d’effondrement, appelés graben (nom allemand) ou rift (mot anglais) dont certains s’ouvriront entièrement permettant aux océans de se former et d’ainsi séparer la Pangée en plusieurs continents.
- Genèse d’une vallée de graben par effondrement au sein de la croûte terrestre
Ces fossés d’effondrements, ces grabens, se remplissent de sédiments et forment ainsi des vallées à fond plat et limitées par des pentes fortes, voire des falaises. Ces vallées de graben peuvent être vastes comme par exemple la plaine d’Alsace.
- Vue d’un graben et de sa falaise de bordure
- Deer Creek, Grand Canyon, USA
- Les grabens peuvent former de vastes dépressions
Un tel grand fossé d’effondrement s’est formé dans notre région sur la façade occidentale du Massif Central. Ce vaste graben, que l’on peut appeler graben du Quercy, s’étend de Brive à Montauban et de Périgueux à Albi et est profond de 2000 à 5000 mètres !
- Le rift du Quercy qui s’est développé sur le long de limite des terranes du Massif Central et Sud-Amorique mais au sein de ce dernier.
Le vaste graben du Quercy s’est formé à la frontière de deux blocs géologiques, deux anciens microcontinents aux histoires géologiques antérieures contrastées, le bloc sud-armoricain et le Massif central. Ce contraste va se marquer tout au long de l’histoire géologique de cette époque jusqu’à nos jours : le Massif Central a toujours été émergé alors que bloc sud-armoricain (le soubassement du Périgord-Quercy) a souvent été submergés par les mers.
- Les différents anciens microcontinents d’Europe après le Varisque (Ballèvre et al., 2009). Le graben du Quercy s’est formé à la frontière de deux d’entre eux.
Le Permien se termine par la plus grande extinction des espèces que la Terre ait connue : 95% des espèces marines et 75% des espèces terrestres disparaissent. La Vie sur Terre l’a échappé belle à l’époque. Il n’y a pas consensus sur la cause : changement climatique majeur dû au début de l’ouverture continentale, grands épisodes volcaniques (en Sibérie et en Chine du Sud) ou encore chute d’une grosse météorite.
Cette terrible extinction et la fin du Permien marque la fin du Paléozoïque. Commence ensuite le Mésozoïque qui comprend les périodes du Trias, du Jurassique et du Crétacé, les roches des deux dernières périodes étant caractéristiques du Quercy et du Périgord.
- Le Permien se termine par une extinction massive des espèces. Ici un crâne de Dinogorgon
Au Trias, première période du Mésozoïque, géologiquement, les conditions globales sont semblables à celles du Permien : toujours un seul grand continent et des roches rouges. On parle d’ailleurs souvent du "Permo-Trias". Il en est tout autre pour la faune et la flore qui voient apparaître de nouvelles espèces dont les premiers dinosaures.
- Liliensternus, dinosaure carnivore de Trias : jusqu’à 5 m de long, 2,5 m de haut et entre 100 et 400 kg. Il chassait en groupe.
A cette époque, le Périgord et le Quercy étaient toujours sous eau via une longue entrée d’eau, un peu comme un fjord, étant donné la présence du graben, toujours légèrement en effondrement.
Le cœur de l’histoire : le Jurassique et le Crétacé, période calcaire.
Au Jurassique, l’Amérique commence à se séparer de l’Europe et de l’Afrique, ce qui provoque une arrivée d’eau océanique du nord.
- Le monde au Jurassique moyen
En conséquence, la mer a envahi une bonne partie de la France, laissant seulement le Massif Central, la Bretagne et l’Ardenne-Vosges comme îles.
- La France au Jurassique, en bonne partie envahie par la mer.
Le Jurassique est le début de l’âge d’or des dinosaures qui dominent le monde et qui peuvent parfois être gigantesques, dont le bien connu Diplodocus, même s’il était loin d’être le plus grand.
- Les grands sauropodes comme le Diplodocus apparaissent au Jurassique
- Les plus grands dinosaures, tous herbivores. Le plus grand, connu seulement par quelques os, est l’Amphicoelias fragillimus, qui faisait 60 m de long, 8 m de haut et 80 tonnes.
En Périgord-Quercy, le Jurassique se superpose au Permo-Trias dans le graben sur une épaisseur dépassant 1000 mètres. Ces sédiments se sont déposés dans une mer peu profonde sur croûte continentale, dans une mer dite épicontinentale. La faible profondeur d’eau et un climat tropical ont favorisé une vie très abondante dans ces mers.
Par ailleurs, comme le Jurassique fait suite au Permo-Trias qui a vu l’arasement du grand continent, il y avait à cette époque assez peu de sédiments provenant de l’érosion du continent et donc peu de sédiments dits "détritiques" (galets, sable et argile). Il s’agit donc d’un lieu et d’une période favorable au développement d’un écosystème de type récifal (coraux) qui conduit au dépôt de sédiments carbonatés (calcaires, dolomies,...).
- Coupe orientée NE-SO de Saint-Julien de Lampon vers Besse et passant par Bouzic et Florimont.
- Cette coupe géologique est basée sur une prospection sismique (petites secousses provoquées permettant de "lire" les couches en profondeur). On peut y remarquer que le Permien (et le Carbonifère, non représenté) disparaît au SW de Campagnac : c’est le bord ouest du graben du Quercy.
Au début du Crétacé, le Périgord et le Quercy se retrouvent à l’émersion et aucun sédiment ne se dépose dans la région au Crétacé inférieur. Cette mise à la surface des calcaires jurassiques provoque une karstification.
La karstification est un processus de dissolution partielle de la roche calcaire par les eaux météoriques (= eaux superficielles provenant de la pluie) chargées de gaz carbonique. C’est une érosion à la fois hydrochimique (par dissolution acide) et hydraulique (par mouvement de l’eau). Cette karstification provoque la naissance de gouffres, grottes, rivières souterraines, etc., tout cela étant bien connu en Périgord Noir et Quercy.
- Le gouffre de Padirac et les structures qui s’y trouvent, sont des phénomènes karstiques.
Le mot "karst" provient du nom d’un haut plateau calcaire de Slovénie (ex-Yougoslavie) aux structures typiques. Ce plateau s’appelle "Kras" mais a été germanisé en "Karst" par l’empire austro-hongrois.
- La Fontaine de Bouzic, une résurgence, est karstique
- Une conduite forcée naturelle et spectaculaire de la grotte de Peyrejal, également phénomène karstique.
- C’est le genre de conduite qui peut former une résurgence comme la Fontaine de Bouzic.
Au Crétacé supérieur, la mer envahit à nouveau la région et des calcaires se déposent également, par dessus les calcaires jurassiques.
- La France au Crétacé
Le Crétacé est également une grande période pour les dinosaures, dont le célèbre Tyrannosaurus rex, qui vécut à la fin du Crétacé vers 70-65 Ma.
La fin du Crétacé, qui est également la fin du Mésozoïque, est marquée par une nouvelle grande extinction des espèces avec entre autres la disparition des dinosaures.
- Le Tyrannosaurus rex, dinosaure emblématique du Crétacé.
La fin de l’histoire : au Cénozoïque, la mer se retire et les Causses s’élèvent.
- Un Arctocyon primaevus du Paléocène, une période du Cénozoïque.
Le Cénozoïque, qui est marqué par le développement des mammifères, voit un nouveau retrait de la mer des régions périgourdines et quercynoises. Elle ne reviendra plus.
- A L’Éocène, période du Cénozoïque, la mer n’est plus présente en France que dans le nord du Bassin de Paris et le sud-ouest dans une large bande allant de Bordeaux et Biarritz jusqu’à Béziers, toujours actuellement une grande dépression.
- A ce moment, le Périgord et le Quercy font partie de la grande plaine éocène qui ceinture le Massif Central.
Ce retrait marin est associé à une remontée progressive du graben du Quercy suite à la poussée de la Péninsule ibérique qui, après une rotation, est entrée en collision avec la France, provoquant l’apparition de la chaîne des Pyrénées. Cette poussée a donc provoqué l’inversion du graben du Quercy, c’est-à-dire que cette région, au lieu d’être en dépression va s’élever et former les plateaux calcaires que sont les causses. La raison est que ce graben est situé à la limite de deux anciens microcontinents (voir plus haut la carte) et que cette limite est une zone de faiblesse : en période d’extension, elle s’effondre, en période de compression, elle remonte.
- Les causses sont montés suite à la compression pyrénéenne ; ils ont été concomitamment incisés comme ici par la Dordogne, séparant causse de Martel et causse de Gramat
Les failles bordières de ce graben en particulier sont des zones de faiblesses qui ont été réactivées par cette compression pyrénéenne.
A l’est, c’est la faille de Meyssac, qui met en contact Permien et Jurassique à proximité des gneiss et granites du Massif Central.
A l’ouest, c’est l’accident ouest-quercynois qui fait remonter le Jurassique : c’est l’origine du petit causse de Florimont, véritable enclave jurassique quercynoise au sein du Crétacé périgourdin.
- Carte géologique schématique du Quercy et du Périgord
- On y voit la remontée du Jurassique le long de l’accident ouest-quercynois, provoquant la présence du causse de Florimont où coule le Céou et où se trouve Bouzic.
Cet accident ouest-quercynois, également connu en Périgord en tant que faille ou accident de Saint-Cyprien, résulte à la fois d’une compression et d’un mouvement cisaillant. La conséquence est la formation d’une faille mais également de plis perpendiculaires à la faille ayant globalement la forme d’un anticlinal (appelé en Dordogne "Anticlinal de Campagnac-lès-Quercy. Cette faille correspond à la limite occidentale du graben du Quercy.
- Schéma de l’Accident Ouest-Quercynois
- Les contraintes tectoniques ont provoqué simultanément une montée du bloc oriental (flèches vertes), une compression est-ouest (flèches noires) et un mouvement horizontal (flèches rouges).
- La compression Est-Ouest a provoqué des plis juste à l’est de l’accident, dans la zone qui est remontée, ayant globalement une forme d’anticlinal.
- Un de ces plis est visible dans la colline au-dessus de la Fontaine de Bouzic (photo Pierre Menant)
Cette remontée préférentielle du graben du Quercy fait que dans le département de la Dordogne affleurent des roches de plus en plus jeunes en allant vers le sud-ouest (voir carte ci-dessous). Au nord-est, affleurent les granites et gneiss varisques (en rouge et rose) et autres roches paléozoïques (en brun) du Massif Central, qui n’ont jamais été recouvertes par les mers, puis le Permo-Trias Jurassique (en mauve, présent essentiellement dans la région de Brive, bien connue pour ses roches rouges), le Jurassique (en bleu), le Crétacé (en vert), avec la remontée du causse de Florimont au milieu à cause de l’accident ouest-quercynois, et enfin le Cénozoïque au sud-ouest.
- Carte géologique de la Dordogne
Et les gaz de schistes dans tout cela ? Une histoire toarcienne !
Il nous faut, pour comprendre la genèse de schistes à gaz et leur localisation, retourner au Jurassique. Le système Jurassique est subdivisé en trois séries, le Lias (Jurassique inférieur), le Dogger (Jurassique moyen) et le Malm (Jurassique supérieur), elles-mêmes subdivisées en étages depuis l’Hettangien jusqu’au Tithonien (voir tableau ci-contre).
Au sein du Jurassique calcaire, l’étage du Toarcien (vers 180 Ma) se distingue par une lithologie argileuse, des schistes. Cela n’a pas empêché que ce fut également une période de dinosaures.
- Un Baraposaurus toarcien
Au Toarcien, un seul supercontinent existait encore avec un super-océan tout autour, Panthalassa. Un deuxième océan, Théthys, était en grande partie entouré de continents et se prolongeait par une mer intérieure épicontinentale (=recouvrant une croûte continentale) en Europe occidentale.
- Le Monde au Toarcien, il y a 180 millions d’années (modifié d’après Gomez et Goy, 2011).
- Un seul supercontinent, un océan intérieur (Théthys) et une mer intérieure européenne.
- L’océan intérieur Théthys se prolonge à l’ouest par une mer épicontinentale hérissée de plusieurs îles dont la Bretagne et le Massif Central (d’après Boidin et al., 2011)
Le Périgord et le Quercy se trouvaient au sein de cette mer épicontinentale juste à l’ouest d’une île, le Massif Central. La profondeur d’eau y était faible, <100 m et souvent beaucoup moins. De telles faibles profondeurs d’eau et son isolation rendait cette mer européenne sensible aux changements climatiques et en particulier aux changements de températures.
Hors, une augmentation de la température moyenne de l’ordre de 7°C est intervenue au Toarcien (Gomez et Goy, 2011). Une telle augmentation de température est énorme (actuellement, vu les changements climatiques en cours, nous craignons une augmentation de 1 à 2° d’ici la fin du siècle).
Cette augmentation de température, couplée à des précipitations importantes, a favorisé le développement des végétaux qui apprécient ce type de conditions (les forêts équatoriales sont beaucoup plus luxuriantes que les nôtres). Ce qui, en conséquence, a amené une grande quantité de nutriments (en particulier l’azote mais aussi surtout le phosphore, Ozaki et al., 2011) dans la mer européenne provoquant son eutrophisation par développement excessif de plancton et d’algues (eutrophisation= "bien nourri" en grec mais en l’occurrence c’est plutôt "trop nourri", cf les problèmes d’algues vertes en Bretagne) et la mort de beaucoup d’espèces. Cet apport excessif de nutriments et l’importante augmentation de température (qui induit augmentation de l’acidité et la diminution de l’oxygène dissous dans les eaux océaniques et maritimes), ont engendré en Europe une extinction des espèces importantes, connue sous le nom d’extinction toarcienne.
- Création d’une mer euxinique au Toarcien vu le milieu confiné couplé à une température élevée et un apport de nutriments
- TOC= Total Organic Compound, ou composition organique totale
De plus, la combinaison des facteurs température élevée, grande quantité de nutriments et de matière organique et milieu confiné a engendré dans la mer épicontinentale du Toarcien un milieu euxinique. Le mot "euxinique" vient de "Pont-Euxin" qui est le nom de la Mer Noire en ancien grec. La Mer Noire est en effet actuellement une mer euxinique, quasiment la seule au monde actuellement. Le facteur principal étant dans ce cas le confinement important de cette mer, n’étant en contact avec la Mer Méditerranée que par l’étroit détroit des Dardanelles.
- La Mer Noire, Pont-Euxin en ancien Grec, est très confinée et est la seule mer euxinique actuelle.
Dans une mer euxinique, la tranche d’eau profonde est envahie par l’anoxie (= sans oxygène) alors qu’en surface une tranche d’eau oxygénée est le siège d’une intense productivité organique. Cette matière organique, dès qu’elle coule, se retrouve dans la zone anoxique et n’est donc pas oxydée. C’est une condition très importante pour son accumulation et sa transformation ultérieure en pétrole ou en gaz (voir le gaz de schistes : sa genèse).
Il a longtemps été pensé que c’était cet épisode euxinique qui avait engendré l’extinction toarcienne mais des études récentes démontrent que ce n’est pas le cas : l’extinction a également eu lieu en dehors des zones euxiniques et avant la période euxinique (Gomez et Goy, 2011).
La vie dans les mers euxiniques est donc limitée à la surface, ce qui favorise les espèces pélagiques (= qui flottent) et ce qui défavorise toutes les autres. Il n’y a donc pas de production de carbonates. C’est donc surtout de l’argile qui va se déposer. Cette argile va être noire vu la quantité de matière organique qui va se déposer en même temps. Au Toarcien, on estime la TOC (= Total Organic Compound, ou composition organique totale) à plus de 5% dans certaines régions, ce qui est élevé. Ces dépôts auront lieu surtout dans les lieux les plus favorables à l’arrivée et à la préservation de la matière organique conduisant à une variabilité de la TOC suivant les régions (Leonide et al., 2011).
- Un exemple de vasière formant des argiles noires riches en matière organiques. Cela permet d’imaginer ce qui s’est déposé au Toarcien.
Ces argiles noires, en étant progressivement recouvertes par d’autres sédiments, vont se transformer sous l’effet de la température et de la pression en schistes noirs et dans notre cas en schistes noirs à gaz. C’est ce milieu toarcien particulier qui a permis par la suite la genèse du gaz de schistes.
- Schistes à gaz
L’ouverture de l’Atlantique progressant, des eaux océaniques oxygénées sont arrivées dans la région à la fin du Toarcien, ce qui a mis fin à la mer euxinique et ce qui a permis aux calcaires de se redéposer, d’autant que la température a baissé et que le climat est devenu moins humide, supprimant l’eutrophisation des eaux. Doucement d’abord à l’Aalénien, puis abondamment au Bajocien. La mer bajocienne est oxique, c’est-à-dire correctement oxygénée.
- Situation de la mer oxique (oxygénée) bajocienne où les calcaires peuvent se redéposer au contraire de la matière organique (oxydée, elle est détruite).
Une coupe géologique du causse de Gramat (ci-dessous) basée sur une campagne sismique, montre bien le graben du Quercy, bassin profond de près de 5000 m : sur le Permien se dépose une petite épaisseur de Trias (en mauve clair) puis le Lias auquel appartient le Toarcien et par-dessus le Dogger dont fait partie le Bajocien. Finalement s’est déposé le Malm qui comprend le Tithonien, le calcaire de Bouzic.
- Coupe géologique du Causse de Gramat de Théminettes (entre Gramat et Figeac) à Lherm (entre Catus et Frayssinet le Gélat)
- Les failles bordières du graben sont en dehors cette coupe.
- Profondeur du Toarcien en Périgord Noir. Il est juste à 1000 mètres de profondeur sous Malecourse (NE Bouzic)
Le Toarcien est donc présent partout dans le graben du Quercy : il est présent à la surface au NE du département, du côté de Terrasson et s’approfondit progressivement vers le SE, avec un ressaut créé par l’accident ouest-quercynois. Ce dernier affecte donc clairement le Toarcien. La carte ci-contre est basée sur la profondeur du toit de l’aquifère du Lias inférieur, toit qui est le Toarcien argileux et donc imperméable.
Cette présence partout en profondeur est la raison de la demande de permis "Gaz de Schistes" qui a été introduite (demande dite "Permis de Cahors"). Le "Permis de Cahors" se superpose au Graben du Quercy et en particulier là où il est le plus profond. En effet, il faut au moins 2000 m de profondeur pour que le gaz se forme.
Le Toarcien est actuellement à 1000 m de profondeur mais avant la remontée due à la compression pyrénéenne, il était situé à plus grande profondeur. Mais c’est néanmoins là où le graben est le plus profond que les chances sont les plus élevées d’avoir du gaz.
- Localisation du "Permis de Cahors" par rapport au graben du Quercy
- Le "Permis de Cahors" est localisé sur le graben et en particulier là où il est le plus profond.
Les aquifères du Jurassique, dans le Dogger et le Malm.
L’eau est essentielle à la Vie et donc à l’être humain, directement (boisson) et indirectement (agriculture), sans parler de l’hygiène ou du plaisir (baignades). Or, il est bon de rappeler que l’eau douce présente à la surface du globe ne représente que 1% de l’eau présente en profondeur dans les nappes phréatiques (aquifères).
Deux infos : (1) un aquifère est un volume d’eau présent en profondeur dans une roche poreuse. Cette roche peut être poreuse en petit (sable, grès), ce qui signifie que l’eau est uniformément répartie, qu’elle imprègne la roche. La roche peut également être perméable en grand, c’est à dire seulement dans des fractures ou des poches, c’est le cas des zones calcaires : la roche calcaire en elle-même est imperméable mais comme elle se dissout dans l’eau (qui est légèrement acide vu la présence de gaz carbonique qui forme avec l’eau l’acide carbonique), les zones calcaires sont remplies de poches et de boyaux laissant passer l’eau, c’est le phénomène karstique (voir plus haut).
(2) Quelque soit le type de roche, l’eau s’accumule vers le bas et l’aquifère aura un niveau maximum (qui pourra varier en fonction de la saison). Ce niveau est appelé niveau piézométrique et se transmets à distance, c’est le principe des vases communicants.
- Coupe simplifiée au travers d’un aquifère et montrant la notion de nappe libre, captive et artésienne, indissociable de la notion de surface piézométrique
Quand on se trouve au niveau de la surface maximum (niveau piézométrique réel), on parle de nappe libre. Si l’on se trouve à un endroit où l’aquifère est recouvert par une roche imperméable (le "toit" de l’aquifère), on parle de nappe captive. Le niveau piézométrique se transmettant à distance, si, dans un endroit où la nappe est captive, on se trouve sous le niveau piézométrique (appelé virtuel dans ce cas), on dit que la nappe est artésienne. A cet endroit, l’eau sera jaillissante, que ce soit naturellement (source, exemple la Fontaine de Bouzic) ou à l’intermédiaire d’un forage.
L’eau s’écoulant vers le bas, elle va tendre à remplir les niveaux poreux situés entre deux niveaux imperméables (le "toit" au-dessus et le "mur" en-dessous) éventuellement à de très grandes distances, à 100 km voire plus.
- Représentation en 3D des aquifères d’Aquitaine
- Bouzic se trouve dans le petit aquifère du Tithonien, qui est celui du causse de Florimont
Sur la carte ci-dessus, sont représentés en 3D les aquifères de la région aquitaine. On y distingue bien les aquifères jurassiques, celui du Bajocien, du Bathonien/Callovien/Oxfordien et le petit du Tithonien, celui du causse de Florimont qui alimente la Fontaine de Bouzic.
En carte, il faut faire le choix de la profondeur. Sur la carte ci-dessous, sont représentés les aquifères les moins profonds dans une région donnée. On y distingue ici aussi que les âges des roches contenant les aquifères les plus superficiels sont de plus en plus jeune vers le SE et, à nouveau, avec un accroc dans cette belle disposition provoquée par l’accident ouest-quercynois, avec la seule occurrence d’aquifère tithonien en Dordogne, autour de Bouzic.
- Carte des aquifères les plus superficiels en Dordogne (à l’exception des aquifères quaternaires de fonds de vallée).
Quelles sont les relations entre le Toarcien (schistes à gaz) et les aquifères du Dogger et du Malm ?
La structure en graben est relativement simple et continue, mis à part quelques accidents tectoniques comme l’accident ouest-quercynois ; il s’agit d’une forme concave, en bassin.
- Coupe géologique basé sur des sondages, de Gramat à Villeneuve sur Lot et passant par Florimont
Sur la coupe ci-dessus, on voit le caractère quasiment continu des différents niveaux lithologiques avec quelques marches dues à des rejeux de failles du graben.
On y voit clairement que le mur (plancher) de l’aquifère Bajocien (qui inclut l’Aalénien très mince) est le Toarcien lui-même : les schistes à gaz sont en contact direct avec l’aquifère Bajocien. On y voit également que l’accident ouest-quercynois met en contact les aquifères du Bajocien et du Callovo-oxfordien.
Ceci signifie qu’en cas de fracturation hydraulique des schistes à gaz, l’aquifère du Bajocien sera immédiatement contaminé et très rapidement l’aquifère du Callovo-oxfordien le sera aussi, la transmissibilité des fluides en milieu karstique étant à mesurer en mètres/heure. Il n’y a aucun bouclier imperméable entre les schistes à gaz du Toarcien et les aquifères du Dogger et du Malm.
Seul le petit aquifère du Tithonien semble bien protégé par les niveaux imperméables du Kimméridgien.
La situation est la même partout en Quercy et Périgord Noir comme le montre la coupe ci-dessous passant par Cahors, Gourdon et Sarlat.
- Coupe géologique basé sur des sondages, de Cahors à Sarlat en passant par Gourdon
Il est important de rajouter que tous ces aquifères fournissent naturellement de l’eau via des sources, puisque toutes ces nappes sont libres en allant vers l’est. La coupe ci-dessous montre les différents aquifères du Quercy et du Périgord Noir et les différentes sources connues en provenant. On y voit qu’il existe même des sources provenant du Lias, sous le Toarcien imperméable.
- L’origine des sources dans le Jurassique du Lot et du Périgord Noir (Astruc, 2002).
A l’inverse, c’est par ces zones de nappe libre que se sont fait dans le passé le remplissage des nappes. Les nappes du Bajocien et du Callovo-Oxfordien présentes sous Bouzic ont été remplies au niveau de Gramat. Ces remplissages doivent encore se produire actuellement car l’âge de l’eau de Bouzic (10000 ans, voir article) est trop jeune et représente donc un mélange entre de l’eau préhistorique et de l’eau actuelle.
- Perte à Thémines (Photo et légende deJ.G. Astruc)
- Entre les pertes de Thémines, sur la limite orientale du Causse de Gramat, et l’aplomb de Bouzic, il y a une continuité hydraulique du réservoir aquifère. Aucune limite argileuse ne compartimente ce réservoir d’eau.
- Chenaux verticaux dans le Bajocien de la grotte de Roucadour sur le Causse de Gramat.
- Ce système karstique est actuellement fossile mais il a probablement contribué au remplissage dans le passé de l’aquifère actuellement pompé à Bouzic.
Quelles sont les conclusions ?
La situation généralement présentée est celle d’aquifères dans les 100 premiers mètres et de schistes à gaz à 2000 mètres de profondeur .
Ce n’est pas du tout la situation du Périgord-Quercy !
En Périgord-Quercy, la fracturation devrait se faire autour de 1000 mètres de profondeur avec les aquifères juste au-dessus !
- Coupe classique fournie pour la fracturation hydraulique, faite vers 2000 m de profondeur avec des aquifères superficiels à moins de 100 m de profondeur
Ce qui signifie que, même sans tenir compte des problèmes en surface (voir article Gaz de Schistes : intérêts et problèmes),
- Les problèmes en surface sont spécifiques en Périgord Noir et en Quercy !
et même sans tenir compte des risques improbables qui peuvent quand même se produire,
- Des imprévus très improbables peuvent se produire
L’exploitation et même l’exploration pour les gaz de schistes sont totalement à proscrire dans le cas du Périgord Noir et du Quercy.
En effet :
(1) il n’y a aucun bouclier entre schistes à gaz et aquifères ;
(2) ces aquifères sont karstiques avec des mouvements de fluides très rapides, qui se mesurent en mètres/heure ;
(3) la structure en graben de la région implique l’existence de grandes failles verticales qui peuvent fonctionner en drain (comme l’accident ouest-quercynois à Bouzic) et mettent donc en communication les différents aquifères avec l’aquifère bajocien en contact direct avec les schistes à gaz du Toarcien.
- Afrovenator abakensis= Bouzicois quand on les cherche
Jean-Paul Liégeois, géologue, Bouzic.
P.S. Pourrait-il y avoir des niveaux de gaz de schistes plus bas, dans le Permien et le Trias du graben ? Voire dans le Carbonifère ? Information dans l’article "Le gaz de schistes : le cas du Périgord-Quercy permo-carbonifère".
Voir également : "Permis de Brive" et gaz de houille
Références :
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