La Vie autour du Cantou à Bouzic

de Guy Rauzet
samedi 13 novembre 2010
par  Jean-Paul Liégeois
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Un cantou, vue d’artiste


Orphelin à l’âge de trois ans, c’est ma grand-mère, ma mémé, mère de onze enfants, qui m’a gardé. La modeste petite maison que j’habitais avec mémé représentait pour moi un paradis. Je ne peux oublier les longues soirées d’hiver blotti dans le coin du cantou alors que le givre collait aux carreaux de la porte et de la fenêtre, seules ouvertures de cette unique pièce que nous appelions la cuisine. Là, je ressentais ce bien-être d’être dans ma maison enveloppé de cette tiédeur du feu dans la cheminée. A cette époque de l’année, j’y passais la majorité de la journée. Ma grand-mère, souvent, venait s’asseoir auprès de moi. Elle tricotait, et moi, je lisais des vieux livres trouvés au grenier.


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Maison de Guy Rauzet, telle que vers 1930
La maison de la grand-mère de Guy Rauzet, près du pont de Bouzic



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Chenets de cheminée à coupoles

Cette cheminée, ce cantou, où brillaient toujours quelques braises, était la seule source de chaleur que nous avions à l’intérieur. Deux vieux chenets en fonte retenaient quelques buches et l’éternelle crémaillère pendait dans le vide. Elle servait à accrocher la grande marmite, le pot, lou toupi (lo topin en occitan languedocien). C’était dans ces toupis que l’on cuisait la soupe chaque jour.

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Fer à repasser
Plusieurs fers chaud pouvaient se succéder dans le fer à repasser. D’où l’expression "avoir plusieurs fers au feu".


Un vieux banc dans le coin était toujours là pour s’asseoir. Devant le feu se trouvaient en permanence deux fers à repasser. Le linge était inlassablement dans la pièce et les fers pouvaient servir à tout moment. Les pommes des chenets étaient en forme de coupoles où il y avait une boîte d’allumettes suédoises et quelques noix ou châtaignes ainsi que d’autres petites objets variés et variables. C’était le fourre-tout de l’époque.


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Cantou typique
Remarquer le toupi pendant à la crémaillère, le banc dans le cantou faisant office également de coffre, les chenêts, les placards, la table avec le grand tiroir pannetier et la comtoise (horloge).


Au mur, sur le côté, pendait "l’endrillière" qui, lorsqu’elle était accrochée à la crémaillère, servait de support aux poêles et casseroles. Dans ces conditions, on pouvait cuisiner à mi-hauteur. Il y avait aussi accroché un vieux soufflet que

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Soufflet (avec son embout métallique !)

j’ai toujours connu. Il n’avait plus d’embout en fer et il s’était peu à peu détruit au contact des braises. Pour moi, c’était un jeu que de m’en servir, ce que je faisais souvent. Ce que j’aimais faire aussi, c’était prendre dans le brasier un tout petit bout de bois enflammé et le secouer dans le noir. Je créais ainsi un mini feu d’artifice qui me ravissait.


Dans un coin étaient enchevêtrés la pelle en fer pour ramasser les cendres, les pinces, ou pincettes, et une petite balayette. Il n’y avait pas de suspensoir comme maintenant mais les outils étaient déjà les mêmes. Ils servaient à nettoyer la plaque en fonte qui servait de sol au brasier mais également à ramener cendres et braises sur le devant afin d’y installer le trépied où reposait la marmite remplie du frico journalier.


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La Mémé de Guy Rauzet, Marie Grangier (1864-1956)

Durant les périodes scolaires, Mémé avait pour tâche de faire chauffer les gamelles que lui portaient à midi les enfants qui allaient à l’école. Ils mangeaient assis dans la cour car ils ne rentraient pas chez eux pour déjeuner, habitant les hameaux sur les coteaux à deux ou trois kilomètres.

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La cheminée était bâtie en grosses pierres du pays. Elles avaient été toutes taillées à la même épaisseur sur le champ, à l’extérieur. Une planche de bois

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Lampe Pigeon, la lampette

moulurée était fixée au-dessus d’une étagère à hauteur d’homme. Plusieurs objets y étaient alignés : un moulin à café, une lampe à alcool qui, allumée, servait à faire chauffer dans une casserole le café ; quand le foyer n’était pas encore allumé, une vieille lampe à carbure toute en cuivre était là également avec, à ses côté, une petite lampe, une "lampette", de marque Pigeon. Mais ce n’était pas les seules lampes ! Il y avait aussi une lampe de chevet surmontée d’un abat-jour où pendaient tout le tour de sa base des

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dizaines de toutes petites perles. Deux à trois morceaux de Savon de Marseille marqué "La Perdrix" séchaient en permanence au-dessus du cantou. Ainsi bien séché à la chaleur, ils s’usaient moins vite lorsque l’on s’en servait pour faire la lessive.


Assis au coin du feu, comme on disait à l’époque, je ressentais ce bien être de chaleur qui enveloppait tout mon corps. Souvent, mes yeux s’attardaient sur le plancher constitué de larges planches de peuplier à peine jointes les unes aux autres. De larges trous dus à la décomposition de l’aubier apparaissaient à plusieurs endroits, bien utile quand ma grand-mère balayait. Tout passait par ces larges fissures et tombait dans la cave où le sol était de la simple terre battue. Une épaisseur de matière plus ou moins grasse y était bien accrochée en surface voire imprégnée. L’eau de javel était chère, trop chère à l’époque, surtout pour de pauvres gens. Ce vieux plancher, qu’est ce que je l’ai souvent fixé tout en me chauffant !


Faute de tirage, dû à de mauvais ramonage et, il faut le dire, à la conception des cantous en général, la cheminée renvoyait de son conduit une épaisse fumée. La cuisine en était inondée, surtout quand le vent d’Autan, le vent du sud, soufflait avec vigueur.


Le soir, après souper, toujours assis dans mon coin, le calme était absolu. Grand-Mère tricotait de ses quatre aiguilles fines les éternelles chaussettes de

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Tricot
La grand-mère de Guy Rauzet tricotait souvent des chaussettes en laines de mouton

laine de mouton. Qu’est-ce qu’elles étaient chaudes ces chaussettes ! Combien de fois n’ai-je tendu les bras, ceux-ci entourés par un écheveau de laine que grand-mère enroulait avec soin en pelote dans ses mains. Seul le crépitement de quelques brindilles dans le cantou troublait le silence.

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Bien souvent à ce moment apparaissait par un trou du plancher, un museau de rat qui, petit à petit, arrivait au niveau du sol pour en sortir et prendre à la hâte quelques miettes de pain ou autre nourriture qui tombaient par terre lorsque nous mangions.

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Une grande table ronde trônait au milieu de la pièce. Elle possédait un grand tiroir qui grinçait chaque fois que nous l’ouvrions.

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Dedans il y avait la tourte de pain. Elle pesait 15 livres à l’époque. Lorsqu’elle durcissait, on en mangeait moins. Il y avait aussi en permanence dans ce tiroir un grand couteau pour trancher le pain. Au fond, un morceau de lard plus ou moins gras avec son sel était enveloppé et cousu dans un chiffon de toile de charrue très ancien. Sur le dessus de la table, une toile cirée était remplies de coupures faites avec les couteaux et seuls quelques détails des dessins d’origine étaient encore visible à force de l’essuyer. Je devinais quand même aux quatre coins les pattes et les têtes de chevaux au galop. Autour de la table, quatre ou cinq chaises vétustes avaient été plus ou moins rempaillées.


Dans un coin, un vieux lit en bois à deux places, imprégné lui aussi de fumé de cheminée. De temps en temps on essuyait la poussière, ce qui lui donnait un ton de cire brillant. Sur le dessus était entassé pêle-mêle quelques vêtements posés à la hâte : veste, pull-over, linge de maison à repasser.


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Un lit dans une maison quercynoise
Un lit dans une maison ancienne du Quercy à Cabrerets avec un contemporain de Guy Rauzet, Gilbert Marzat, accompagné du Maire de Florimont, Michel Trémoulet


Sur le lit, il y av ait aussi un chapeau de paille que portait ma grand-mère hiver comme été. Près du lit, il y avait la fenêtre qui donnait sur le jardin et, accroché à l’espagnolette, un miroir rectangulaire. Plusieurs fois par jour, je regardais ma frimousse et je me donnais un coup de peigne. Mes cheveux étaient raides comme un passe-lacet. Par la suite, en prenant de l’âge, je leur appliquais un peu de "gomina" qui les tenaient plaqués. J’arrivais même à faire une mise en plis avec le dos du peigne, mais ceci au détriment du pot de gomina.


A droite de la fenêtre, une machine à coudre "Singer" à qui on ne pouvait donner d’âge, était le seul outil de travail de ma grand-mère. Elle confectionnait quelques vêtements fermiers. Rien de compliqué : une simple blouse boutonnée sur le devant et un tablier fait dans un épais tissu noir que l’on mettait pour cuisiner. On reconnaissait les personnes plus ou moins propre à ce tablier : quand il était imprégné de graisse, il luisait comme de la cire et on savait qu’il n’était pas souvent changé. Il faut dire que le savon coûtait cher en ces temps-là.


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Des toupines (ou toupins)
En terre cuite, on y conservait les graisses de canard, d’oie ou porc ainsi que les confits

Les murs étaient garnis d’étagères superposées les unes au dessus des autres. Sur la première à portée de main étaient rangés les verres et les bouteilles d’usage quotidien : vin, huile, vinaigre ou jus de tomate fait maison. Sur celle du dessus étaient entreposés des pots de terre cuite que l’on appelait des "toupines" : elles contenaient les graisses ou confit de canard, d’oie ou de cochon, seuls ingrédients pour faire la cuisine. Sur la deuxième étagère, beaucoup plus large, quelques vieux objets dispersés étaient en train de fournir leurs derniers services.


Sur l’autre pan de mur, d’autres étagères beaucoup plus étroites étaient suspendus des objets de cuisine, casseroles et poêles ainsi toujours à portée de main. Plus haut étaient rangées plusieurs boîtes métalliques de différentes tailles. Sur l’un d’elles la marque PHOSCAO était imprimée. C’était le seul chocolat en poudre qui existait. D’où venaient-elles ces boîtes ? Probablement de la ville d’où un membre de la famille devait les avoir apportées.

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Elles contenaient toutes les herbes ramassées dans la campagne bouzicoise et qui servaient à soigner les petits problèmes de santé ou les petits bobos : tilleul, verveine, queues de cerise, sauge, etc. Dans ce même coin, il y avait la seule petite armoire basse pour ranger la vaisselle. Comme tous les autres meubles, elle était en bois de pin de mauvaise qualité qui provenait des monts d’Auvergne. Seules les personnes les plus aisées possédaient des meubles en noyer ou en merisier. Dans cette armoire, un petit tiroir central servait à ranger cuillères, fourchettes et couteaux. J’y ai toujours vu un petit tube métallique portant l’inscription "Aspirines du Rhône", le seul médicament que l’on utilisait en cas de douleurs sévères comme maux de dents ou de tête.


Sur le dessus de l’armoire, deux anciennes boîtes à gâteaux en fer blanc contenaient quelques lettres ou cartes postales expédiées par la famille éloignée. Nous avions également un courrier régulier. Tous les jours arrivait un journal, le "Petit Parisien", envoyé de Paris par un de mes oncles qui travaillait là-bas comme cheminot. Le journal était daté de la veille, le tonton l’avait déjà lu. J’attendais l’arrivée du facteur avec impatience pour déchirer la bande de papier qui le tenait plié pour dévorer les aventures de Mickey et, en-dessous, celles des Pieds Nickelés. Je regardais aussi quelques photos représentant le portrait d’hommes politiques, le texte présentant à mes yeux bien peu d’intérêt. Par contre, quand étaient représentés un bateau, un avion, une voiture, un train, cela me fascinait car, dans notre région de Bouzic, on n’en voyait pas ou rarement.


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Le Petit Parisien du 16 avril 1930
Guy Rauzet a dû le lire !


Aussi sur le dessus de l’armoire, quatre ou cinq tasses à café toutes ébréchées se pavanait en compagnie d’un vieux sucrier qui servait de porte-monnaie quand on possédait quelques pièces. Le couvercle avait été réparé avec des agrafes où s’agrippaient des tâches de rouille. Il était souvent vide. Qu’importe ! On était habitué à se serrer la ceinture et, sans argent, on vivait quand même. Et toujours sans plainte et avec le sourire. Dans notre Périgord, c’était encore un peu comme au temps de Jacquou le Croquant. Nous avions au moins cinquante ans de retard par rapport aux grandes villes de France.


Encastrée dans les murs, deux grands placards s’élançaient jusqu’au plafond. L’un d’eux, celui de droite, servait dans sa partie basse à entasser quelques brindilles de bois pour allumer le feu. Sur la partie haute, trois ou quatre étagères intérieures, simplement posées sur des tasseaux fixés sur les murs, quelques vieux objets usagés étaient là posés, pêle-mêle : des vieux livres, deux gros pièges à rats, une bouteille pour réchauffer le lit, des bouteilles et de la vaisselle ébréchée.

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Réparateur de porcelaine
de Paul-Narcisse Salières (1818-1908)

Cette dernière attendait le passage du réparateur de porcelaine. Sur la dernière étagère, envahie de toiles d’araignées, se trouvaient des toupines et des bassins en terre cuite dont le vernis du dessus avait presque complètement disparu. Souvent, une des anses était cassée.


Le second placard, toujours encastré dans le mur, était plein de vieux chiffons, de torchons et de serviettes, de morceaux de tissus de toutes matières, de chanvre ou de laine. Ils étaient utilisés pour envelopper le lard et le jambon qui murissaient dans les cendres de bois de chêne rassemblées dans un baquet de bois appelé "tinol" qui, autrefois, servait à faire tremper le gros linge. Quand ils étaient sales, draps et torchons en toile et en chanvre trempaient dans de l’eau additionnée de cendres de bois et de quelques cristaux. Sur le devant de ces placards, deux grandes portes en assuraient la fermeture. Ainsi on ne pouvait deviner ce qu’ils contenaient. Une certaine odeur de moisi et de rance s’en dégageaient lorsqu’on les ouvrait, une odeur que j’ai du mal à définir mais que je sens encore. Dernier décor dans cette humble demeure, une vieille pendule que je n’ai jamais vu marcher. La carcasse en bois était noire de fumée de cheminée comme toutes les poutres du plancher du grenier. Le balancier en cuivre ne possédait aucune sculpture. Plusieurs taches de vert de gris le recouvraient de-ci de-là.


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Lampe à pétrole
suspendue avec abat-jour en opaline

Au plafond, une lampe à pétrole constituait le seul vrai éclairage de la maison – l’électricité a fait son apparition à Bouzic vers 1933. On l’appelait la suspension. Un gros abat-jour en opaline verte et le verre de lampe se dressaient à l’intérieur. La fumée du pétrole qui s’en dégageait laissait voir de larges tâches noires sur le plancher du grenier. Tout autour de la pièce apparaissaient les quatre murs, fantomatiques.


De quand datent-t-ils ces murs ? Peut-être 1746, si l’on se base sur cette date gravée dans une des pierres de la cave. Les pierres étaient ajustées parfaitement les unes sur les autres. Pourtant elles n’avaient aucunes la même forme ni les mêmes dimensions. Dans les joints, du sable jaune ou de la castine qui, au moindre touché, se dégradaient et tombaient en poussière. A l’origine, les murs étaient recouverts de torchis blanchis à la chaux. Il y en avait encore quelques traces à différents endroits qui, à mes yeux, représentaient ou des morceaux de la carte de France ou des figures géométriques vues à l’école. Beaucoup de trous dans ces murs, surtout au-dessus du manteau de la cheminée où ils étaient cachés par une épaisseur de papier journal jaunis par le temps.


Je pense avoir tout dit et décrit de cette pièce de vie de ma maison d’enfance, la maison de ma grand-mère. C’est dans ce décor que j’ai passé la plupart de ma vie d’enfant, surtout en hiver et en période de grand froid. Dès que les beaux jours arrivaient, j’étais dehors.


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Bouzic en 1930
Le pont sur le Céou avec, la première à gauche, la petite maison de la grand-mère de Guy Rauzet